Questions d'actualité à propos de la sécession en droit international

Je commencerai aujourd'hui à écrire une série d'articles visant à expliquer le processus de sécession et sa légitimité en droit international au vu de l'actuelle situation en Espagne.
Mais avant d'en arriver à la possible - et très vraisemblable - prochaine déclaration d'indépendance de la Catalogne, je souhaiterais commencer ce cycle d'articles par une approche plus général au regard de la question "sécession" pour essayer d'en donner les fondements.

Une lecture éclairée et libre de préjugés de la réalité doit passer par une connaissance également éclairée et profonde du droit applicable et de la position du droit international.

La sécession est un procédé qui a été largement utilisé dans le cadre de la décolonisation, mais pas uniquement.

On pourra par exemple évoquer l'exemple inabouti et particulièrement sanglant de la secession du Biafra de mai 1967 à janvier 1970 qui fera 1,5 million de morts et où commença à se former l'idée "d'ingérence humanitaire". Trente ans avant le Rwanda.

Dans une première hypothèse, il arrive qu'un traité règle l'acquisition de la personnalité internationale dans le cadre territorial institué aux dépens de l'Etat préexistant.
Par exemple: "Articles d'accord pour un traité entre la Grande Bretagne et l'Irlande" du 6 décembre 1921. Dans une telle situation, il n'y a pas véritablement cession d'un Etat à un autre puisque le nouvel Etat est effectivement constitué au moment où il dispose du territoire.

Dans d'autres cas, l'opération peut être analysée en un retrait de l'autorité sur le territoire au moment où une autre autorité est susceptible de s'établir.
Par exemple, le retrait de l'Espagne du Sahara Occidental le 26 février 1976 en vertu des Accords de Madrid du 14 novembre 1975 (Espagne, Maroc et Mauritanie).

Or, tout transfert de territoire suppose l'exercice effectif des compétences étatiques. C'est à dire que l'Etat annexant ou séparatiste doit, pour acquérir la souveraineté territoriale, exercer effectivement les fonctions de l'Etat sur le territoire: gouvernement, administration, juridiction. S'il n'en était pas ainsi, quel que soit le titre qu'ait pu acquérir l'Etat en question, il y aurait abandon de territoire et par conséquent celui-ci serait ouvert à une autre installation étatique.
C'est ce qu'a rappelé la CIJ dans son arrêt du 7 novembre 1954 dans l'"affaire des Minquiers et des Ecréhous" en déclarant que la Grande Bretagne avait exercé effectivement les compétences étatiques dans des conditions qui étaient à la fois antérieures et supérieures à celles exercées par la France.

Le transfert n'exige pas toutefois la reconnaissance.
En principe les accords portant transfert de territoire sont opposables aux Etats tiers et, en cas de contestation, la reconnaissance de l'Etat implique abandon des objections. Toutefois on sait combien, concrètement, la reconnaissance des États tiers soit indispensable à tel point de se demander si elle ne constituerait pas un quatrième élément constitutif d'un État. La doctrine internationale se partage sur cette question sans aboutir à une unanimité constructive.

Mais le problème principal, et d'ailleurs le plus sensible, est celui du consentement des populations.
En effet, lorsque l'on parle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, du principe des nationalités ou de l'autodétermination, on vise non seulement les transferts de territoires d' Etat à Etat, donc un droit à l'indépendance, mais également les conditions dans lesquelles un territoire peut se séparer d'un Etat pour constituer un Etat nouveau (le droit de sécession) et aussi le problème de la fusion de deux Etats jusqu'alors indépendants, pour constituer un nouvel Etat.

Ces questions dépassent donc le problème de la seule sécession, mais il s'agit toujours de déterminer dans quelle mesure le consentement des populations peut jouer un rôle dans la modification des structures territoriales.

De ce point de vue deux conceptions sont possibles:
- Le transfert de territoire ne serait valable qu'avec le consentement de la population.
- Le transfert serait obligatoire si la population le réclame.

On peut, pour éssayer de répondre à cette question s'appuyer sur la jurisprudence et sur les textes.

Dans son avis au Conseil de la SDN, du 5 septembre 1920, la Commission de Juristes réunie à propos de l'"Affaire des îles d'Aaland" affirma que le droit de libre disposition ne constitue pas une règle positive du droit international et que, par conséquent, un Etat n'est pas obligé juridiquement de céder un territoire par ce que la population le réclame.
On pourra évoquer l'exemple du référendum d'autodétermination organisé le 26 octobre 1997 par les habitants de l'île d'Anjouan pour se séparer de la République Islamique des Comores qui, malgré un résultat à plus de 75% de oui, n'a pas été pris en considération par la communauté internationale.

Les articles 1 § 2 et 55 § 1 de la Charte des Nations Unises évoquent les notions de "droits des
peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes". Mais il semble, et de nombreuses résolutions le confirment, que dans l'application de la charte ce soit la perspective "décolonisatrice" qui ait été privilégiée ( le droit de former une entité politique distincte).
Par exemple, les résolutions 1514 (XV), 2189 (XXI), 2621 (XXV), 2625 (XXV).

Si l'évocation du droit des peuples à disposer d'eux-même peut étre évoqué comme le fondement d'un véritable droit dans le cadre de la décolonisation, il n'impose pas en dehors de ce contexte spécifique l'obligation de consulter les populations en cas de cession de territoire.

Je vous laisse donc pour aujourd'hui sur cette précision qui peut sembler un mère détail mais qui en réalité va constituer tout le noyau dur de la question de la légitimité d'une sécession suite à un référendum populaire, et donc l'éventuelle possibilité d'une déclaration d'indépendance tout aussi légitime et d'une reconnaissance internationale effective. Dans le prochain article nous poursuivrons ce débat.
Au revoir. Mais seulement pour le moment!


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